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Jordan de Souza est monté sur le podium de certaines des scènes les plus célèbres du monde, mais il n’a aucun doute quant à la scène musicale classique de son pays natal. « Il y a tellement d’excellentes créations musicales au Canada, déclare ce chef d’orchestre très occupé. Je pense que cela se voit d’un bout à l’autre du pays. »
La vie de M. de Souza s’est déroulée en grande partie dans et autour du monde classique européen pendant la majeure partie des vingt dernières années. Pourtant, il n’a jamais cessé d’apprécier sa formation canadienne. « Je pense que les musiciens se construisent, d’une certaine manière, à partir de toutes les expériences qu’ils ont vécues, explique-t-il. McGill est ma fondation, dans une large mesure, ainsi que le Chœur de St. Michael’s et le Conservatoire de Montréal où j’ai étudié avec Raffi Armenian. J’ai beaucoup aimé et apprécié le temps que j’ai passé dans ces établissements; ils ont jeté les bases de l’évolution de mon travail. »
Ce développement a inclus un séjour de quatre ans (2017-20) en tant que Kapellmeister au Komische Oper Berlin (KOB), où il a dirigé une variété d’opéras, notamment Pelléas et Mélisande, La bohème, Iphigenia auf Tauris, l’opérette Frühlingsstürme (Tempêtes de printemps) de Jaromír Weinberger datant de 1933 et Candide de Leonard Bernstein. Ses concerts au KOB comprenaient des programmes avec des œuvres moins connues de Kurt Weill, Franz Schreker et du compositeur/pianiste contemporain Fazil Say. M. de Souza a également dirigé le Houston Grand Opera, l’Accademia Filarmonica Romana, les festivals de Bregenz, Glyndebourne et Garsington, l’Opéra national des Pays-Bas, le Nationaltheater Mannheim, le Bayerische Staatsoper, le Deutsche Oper Berlin, le Seattle Opera et le Lyric Opera Chicago ainsi que l’Opéra de Montréal, le Ballet national du Canada et la Canadian Opera Company.
Il s’est notamment fait entendre avec le Royal Philharmonic, le BBC Symphony, l’Adelaide Symphony, l’Auckland Philharmonia et l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy (France). M. de Souza a également dirigé l’Orchestre du Centre national des Arts (OCNA), l’Orchestre symphonique de Québec, l’Orchestre Métropolitain, le Vancouver Symphony Orchestra (VSO) et l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM). Diriger l’OCNA et l’OSM a été une expérience particulièrement unique; M. de Souza a grandi en étant un inconditionnel de ces deux orchestres et travailler avec eux a donc été, comme il le dit, « une sorte de boucle bouclée pour moi ».
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Jordan de Souza aux BBC Proms. Photo : Chris Christodolou
En août prochain, M. de Souza occupera officiellement un poste important en Allemagne, celui de directeur général de la musique de la ville de Dortmund, poste qui l’amènera à diriger l’Opernhaus Dortmund et le Dortmunder Philharmoniker en tant que chef principal. Cette nouvelle étape, qui a été longue à venir (sa nomination a été annoncée il y a plus d’un an), a inspiré à M. de Souza une pause de réflexion – pour passer d’une phase à une autre, pour se « recalibrer », pour trouver ce qu’il appelle « le meilleur de moi-même » dans l’opéra comme dans les œuvres orchestrales. « C’est comme le deuxième chapitre, dit-il. Au début, il faut se lancer dans l’arène, presque essayer un peu trop, tester un peu les limites et voir où l’on s’épanouit, où l’on peut vraiment se connecter et entrer en résonance avec les gens. Ensuite, il s’agit de célébrer et d’essayer d’amener tout cela dans un équilibre optimal, même si le maintien de cet équilibre peut être difficile. »
Pour maintenir l’équilibre, il doit souvent se déplacer entre le Canada, où réside une grande partie de sa famille, et l’Allemagne, où il vit avec sa femme (membre du RIAS Kammerchor, l’un des plus grands chœurs professionnels au monde) et ses deux jeunes enfants. Son parcours musical a commencé à Toronto, fils de parents qui ont quitté leur Inde natale pour s’installer au Canada dans les années 1970. Il a étudié à la St. Michael’s Choir School (une école catholique semi-privée pour garçons) avant de déménager à Montréal à l’âge de 17 ans pour étudier à l’Université McGill, dont il est devenu membre du corps professoral (de 2011 à 2015) avant de devenir chef de chœur à temps plein.
Une décennie peut s’écouler en un clin d’œil et en ce moment, M. de Souza réfléchit à ce temps et à la façon dont les cycles font naturellement partie du processus. Il a déclaré au Devoir en mai 2022 que la vie des chefs d’orchestre est « toujours à la limite de l’ordre et du chaos » et que la pause imposée par la pandémie de coronavirus en 2020 a permis une réflexion importante. Bon nombre des œuvres qu’il découvre actuellement ont été expérimentées pour la dernière fois lorsqu’il était étudiant (notamment les opéras de Mozart et diverses œuvres baroques), et il y a de nouvelles significations à trouver dans d’anciennes œuvres maintenant, non seulement en tant que chef établi, mais aussi en tant que mari, père et expatrié. « Le centre de gravité se modifie en ce moment, dit-il, et je le fais consciemment, d’une certaine manière, afin d’essayer de construire quelque chose à Dortmund et, sur le plan personnel, d’être ensemble en tant que famille. »
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Jordan de Souza. Photo : Neda Navaee
Les liens entre le monde de l’opéra et celui de l’orchestre continuent de se présenter sous des formes nouvelles et inspirantes, notamment en raison des exigences de l’opéra en termes de temps et d’énergie. Outre son travail à Berlin, M. de Souza a dirigé une immense variété d’œuvres, de Die Zauberflöte aux Contes d’Hoffmann en passant par Don Quichotte. En 2017-18, il a dirigé une impressionnante série de 28 représentations de Carmen avec l’Orchestre symphonique de Vienne au Bregenzer Festspiele en Autriche. En septembre 2024, il a dirigé l’immense Don Carlo de Verdi (la version italienne) à l’Opéra royal danois. « La production d’un opéra est un long processus qui se prête à la croissance d’une manière très différente de l’œuvre symphonique, explique-t-il. [À l’opéra], vous avez des semaines pour essayer différentes choses; vous n’êtes qu’avec les chanteurs et un pianiste. On peut explorer les moindres recoins de la partition, les motivations des personnages, toutes sortes de détails. Travailler de cette manière vous arme vraiment pour les moments où vous êtes avec un orchestre qui essaie de tirer le meilleur parti d’une œuvre et où vous ne disposez que de quatre jours au total pour l’ensemble du projet. Les deux mondes ont vraiment besoin l’un de l’autre. »
Compte tenu de la vénération évidente de M. de Souza pour les grandes œuvres historiques, on pourrait penser qu’il n’est pas aussi engagé dans la musique contemporaine, mais rien n’est moins vrai. Au cours de son mandat de chef en résidence au Tapestry Opera de Toronto, axé sur la musique contemporaine, M. de Souza a dirigé trois premières mondiales. La collaboration, dit-il, est ce qui rend les expériences de musique nouvelle aussi agréables qu’importantes.
« D’une certaine manière, c’est ce qui se rapproche le plus d’une séance d’improvisation pour les musiciens classiques, à part le fait de s’asseoir et de réaliser des impros ou de faire de la musique de chambre, dit-il. C’est un moyen d’entrer dans le processus de création; nous pouvons avoir des échanges avec des compositeurs vivants et ils peuvent entendre certaines des forces d’un orchestre. Peut-être que [cette expérience]les aide à comprendre leur objectif en matière de son. C’est gratifiant de pouvoir approfondir les choses ensemble. »
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La violoniste Francesca Dego avec Jordan de Souza, qui dirige l’OCNA. Photo : Curtis Perry
Très souvent, la musique nouvelle est ajoutée au début des programmes d’orchestre comme une sorte de « remède » – pour satisfaire les missions organisationnelles et les exigences en matière de subventions, sans oublier pour être poliment soutenu par le public. Le programme de l’OCNA 2023 de M. de Souza comprenait Flowing Waters pour orchestre d’Alison Yun-Fei Jiang, l’un des deux compositeurs du Carrefour de l’Orchestre de l’OCNA de 2020 à 2022. La même année, son passage à l’OSM a été l’occasion de présenter la première du Concerto pour violon no 2 du compositeur canadien Tim Brady, dont le soliste de l’orchestre était Andrew Wan.
« Le défi de la musique contemporaine est qu’elle est très souvent temporaire, explique M. de Souza, et son objectif ne devrait pas être un simple geste éphémère, mais plutôt de dire : nous avons reconnu une chose à laquelle nous voulons donner une chance. Nous voulons nous donner une chance ensemble, nous développer et voir où cela peut aller dans un sens plus large. L’objectif est de cultiver ces nouvelles œuvres de manière appropriée. »
Ce sens de la collaboration pourrait trouver ses racines dans l’histoire de M. de Souza avec le chant choral, qui « évoque immédiatement le pouvoir de la musique à favoriser la communauté ». Parallèlement à la composition contemporaine, M. de Souza estime que les oratorios et les cantates ont une grande valeur dans le cadre des saisons orchestrales. En 2023, il dirigera Carmina Burana d’Orff avec le VSO, le Vancouver Bach Choir et le Vancouver Bach Children’s Choir. « Peut-être avons-nous, en tant que présentateurs, la responsabilité de trouver un moyen pour chaque génération de faire l’expérience de ce type de musique, dit-il, afin que les gens puissent y trouver leur propre identité. »
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Jordan de Souza. Photo : Neda Navaee
C’est d’ailleurs dans la musique de Jean-Sébastien Bach que M. de Souza a puisé une partie de son identité musicale précoce. Jusqu’à présent, il a dirigé la Passion selon saint Matthieu, l’Oratorio de Noël et la Messe en si mineur. Sa toute première expérience de chef d’orchestre a été la Passion selon saint Jean de Bach, à l’âge de 20 ans, une expérience qui fait toujours « partie de moi », dit-il. « Ce fut un moment très formateur dans ma vie. Bien que je sois très différent aujourd’hui de ce que j’étais et que je prenne chaque décision différemment, je ne sais pas si mon esprit a changé d’un iota. »
Une telle force spirituelle est souvent à l’origine non seulement de concerts mémorables, mais aussi de longues carrières. Alors qu’il entame cette nouvelle phase à Dortmund, de Souza a atteint un stade où il peut « enfin, maintenant, profiter un peu des fruits de tout ce travail ». Cela ne veut pas dire se reposer sur ses lauriers, loin de là. « Il s’agit de comprendre ce qui est nécessaire, puis d’essayer de donner le meilleur de soi-même pour permettre à ceux qui nous entourent de chanter et de jouer de leur mieux – et, toujours, d’honorer les compositeurs avec lesquels nous avons la chance de passer notre vie.
Traduction: Charles Angers
Au cours de la saison 2024-25, Jordan de Souza dirige Turandot au Deutsche Oper Berlin, La bohème au Lyric Opera of Chicago et Carmen au Deutsche Oper am Rhein. www.jordandesouza.com
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