Flamenco au service du mystère de Goya

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On aurait pu s’attendre à une soirée haute en couleur pour nous changer de l’hiver, comme un plan vestimentaire coloré à la manière des gitans en plein été, dans la proposition andalouse qui s’amenait à Montréal pour nous présenter Searching for Goya. Martín Santangelo, à la mise en scène, en avait décidé autrement et ce fut très bien ainsi. Les tableaux étaient sombres et mystérieusement complexes pour les corps. Dans le mouvement, ils exprimaient des traits de caractère communs à la gestuelle psychophysiologique que commandent nombreuses émotions. Lorsque les tableaux se figeaient, l’instant d’absorber, de digérer toutes les énergies qui s’étaient déployées, le temps aussi de reprendre notre souffle avec ici et là des cris spontanés d’un public espagnol présent, il était impossible de quitter la scène des yeux. Santangelo ne laissait pas une seconde de répit aux spectateurs qui ne voulaient sûrement pas rater un instant de la suite, aucun répit pour une relance repartant en vrille avec encore plus de passion de ses acteurs, danseurs, chanteurs et musiciens.

La danseuse de renommée mondiale, Soledad Barrio, et Martín Santangelo, respectivement co-fondatrice et co-fondateur de la compagnie Soledad Barrio & Noche Flamenca, s’entourent d’artistes experts et exceptionnels, chacun-e bien empreint-e de ses spécialités et de son originalité, pour donner mouvements, de chair et d’âme, aux œuvres de Francisco José de Goya (1746-1828).

Dès le premier tableau immobile, alors que les danseurs ont endossé des ailes d’hiboux, on nous avise que Le sommeil de la raison produit des monstres, œuvre phare de l’artiste peintre-graveur. Quelques brefs moments de lucidité et de lumière apaisent les angoisses – une robe blanche parmi les nuances de gris et du noir dominant. Néanmoins, les souliers ferrés portent les danseurs à l’affrontement avec les démons du sommeil et de la conscience afin de les écraser avec une volonté sans réserve.

L’origine du flamenco demeure un mystère encore à ce jour. Peut-être pour ne pas créer de précédent avec une ordonnance de non-divulgation. Vous savez, parfois les troubadours dérangent… Je me suis rappelé une légende qu’on m’a racontée à Séville, en visitant le château Real Alcazar.

Il était une fois un gitan qui s’était présenté au roi – Fernando VII, peut-être – pour lui demander pourquoi lui et sa garde étaient d’une impitoyable tyrannie envers son peuple.

Le roi: « Est-ce que tu crois que ton peuple, en comparaison de tous les bons citoyens espagnols, qu’il puisse échapper aux lois, qu’il peut aller comme bon lui semble sur les terres sans payer aucun tribut, aucune taxe ? »

Le gitan: « Nous vivons de la charité, des dons volontaires grâce au théâtre et à la musique. Nous arrivons à peine à manger et à nous vêtir. »

SOLEDAD BARRIO & NOCHE FLAMENCA. Crédit : M.Belmellat

Le roi: « Considérez-vous donc avoir droit à un statut privilégié et indépendant de la cour ? »

Le gitan: « Je n’en sais rien, de votre point de vue. Du mien, c’est que nos moyens sont limités, nous sommes pauvres et sans richesse. »

Le roi: « Tu sais, je reçois un bon nombre de rois et de reines, de princes et de princesses de plusieurs pays d’Afrique qui sont sous la protection de l’Espagne. Certains m’apportent des richesses de grande valeur et d’autres qui, parfois je l’avoue, peuvent me laisser perplexe. Mais chacun arrive avec des artistes, des cultures différentes, des danses et des chants que je n’ai jamais vu ou entendu dans toute l’Europe. Qu’est-ce que les gitans ont de différent culturellement par rapport aux sujets de la couronne d’Espagne ? »

Le gitan: « Notre théâtre, notre musique, je ne sais pas trop. »

Le roi: « Alors montre-moi quelque chose que je ne trouverai pas en Espagne ou ailleurs. Quelque chose qui définit la particularité culturelle de ton peuple. »

Le gitan resta sans voix, étouffé par peur, le visage vide d’expression et le corps rigide comme le fer. Il aurait voulu disparaître sur le champ.

Le roi: « Tu sais que je pourrais ordonner ton exécution pour ton arrogance et ta façon de venir me défier sur les méthodes de la gouvernance des terres d’Espagne. Mais je ne le ferai pas. Cependant, je vais t’infliger une punition qui te fera vivre un enfer mais qui pourrait aussi t’offrir une grâce. Ce sera à toi de voir. Tu prendras le chemin des cachots. Tu seras bien nourri et au chaud. Mais tant que tu ne m’auras pas présenté une danse, un chant, un numéro acrobatique ou peu importe quoi, quelque chose qui divertira la cour et qui sera unique pour tous, tu resteras dans ton cachot. Toutefois, si tu réussis, ce qui me surprendrait énormément, je m’engage à offrir la liberté, le droit de circuler à sa guise et d’offrir des spectacles dans toute l’Espagne, à toi, aux gitans de ta fratrie et de vos familles, ainsi qu’à votre succession. »

C’est ainsi qu’après une éternité, un temps que personne ne connaît, le gitan n’ayant pas trouvé de solution à son problème demanda un jour d’en sortir pour tenter de convaincre le roi de le libérer. Obtenant un refus catégorique de la part du roi, il se mit à se lamenter avec une voix unique, il avait ce don déjà depuis son arrivée, mais il ne se reconnaissait pas d’avoir chanté ainsi. Ce n’était absolument pas connu. C’étaient de longues vocalises empreintes d’une énergie d’un immense désespoir mélangé de colère et de ressentiments, assorties d’une soif de liberté comme jamais personne n’avait entendu auparavant en Espagne ou ailleurs. Puis il se mit à danser avec les mêmes émotions, dans des mouvements de pieds agressifs voire violents, jamais observés jusqu’à ce jour.

« Mais quels démons l’ont atteint ? », demanda le roi à un de ses prêtres conseillers.

« Sûrement ceux qu’il a rencontrés dans sa cellule et desquels il tente de s’extirper par ses chants et d’écraser de ses pieds. Vous savez votre Majesté, “Le sommeil de la raison produit des monstres“ », lui lança le prêtre.

Par ces mots, le roi sans hésitation s’obligea de sa promesse ; le gitan et son peuple remportèrent la liberté de circuler avec leur culture distincte partout en Espagne et aujourd’hui, de par le monde.

Viva el Rey, viva España, viva Andalucía, viva el flamenco, viva los gitanos. Soledad Barrio et Noche Flamenca porte cette culture et toute la beauté de ses expressions, de ses sentiments et de ses émotions à merveille et, comme nous tous, porte des démons et des mystères.

En été comme en hiver, c’est à voir.

 

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A propos de l'auteur

Musicien-Gestionnaire, Gestionnaire-Musicien, selon les besoins.

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