Critique | Danses : Le Quatuor Molinari, mené par l’intensité

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C’est certain, le mot « festif » prend une tout autre signification dans la bouche d’Olga Ranzenhofer. Pour son concert du 1er décembre, le Quatuor Molinari, dirigé de main de maître par la violoniste, a offert un autre de ces programmes dont il a le secret : à la fois passionné et passionnant, malgré la modernité du langage musical. Par leur longue expérience commune, leur expertise et parfaite entente sur scène, les 4 musiciens ont mené le public nombreux de la salle de concert du Conservatoire de Montréal dans un voyage de sonorités qui nous font certes perdre nos repères, mais demeurent attrayantes à chaque instant.

La première pièce de la soirée, Reqs de Franghiz Ali-Zadeh, a charmé l’auditoire par ses modes orientaux, ses glissandos, et la fougue que le Molinari a mise dans son interprétation. Les allusions aux danses d’Azerbaïdjan semblaient assez lointaines pour une oreille non initiée. Toutefois, la répétition obsédante de motifs sur des rythmes plus ou moins rapides conférait au morceau un esprit de transe caractéristique de nombreuses musiques du monde, avec un effet d’exaltation qui ne pouvait que rejaillir sur l’humeur du public. Mme Ranzonhofer en a profité pour annoncer la prochaine création d’un septième quatuor à cordes de la compositrice azérie, commandé par le Molinari et qui sera exécuté en 2024 lors d’un concert en sa présence.

Le Quatuor en sol mineur de Debussy, unique exemple dans le répertoire du compositeur français, constituait une légère entorse au règlement que s’était fixé le Molinari, dans la mesure où l’œuvre a été composée avant le début du XXe siècle (1893, exactement). On aurait pu s’attendre à un usage notable de gammes orientalistes, notamment inspirées de l’Asie, mais l’opus 10 ne franchit pas complètement le pas. L’Andantino, « doucement expressif », s’avère une des plus belles pages du romantisme musical, avec ses thèmes amples et ses sonorités rondes.

Ailleurs, l’enveloppe sonore est certainement audacieuse pour l’époque. On y décèle un art qui deviendra l’une des marques de fabrique de Debussy : celui de la métamorphose, de sorte que les idées musicales se fondent les unes dans les autres. Il en résulte une œuvre très mouvante, prompte au changement de couleurs et de passions. Ainsi, malgré sa relative ancienneté, ce quatuor de Debussy ne pouvait que correspondre à l’identité que le Molinari s’est forgée au fil des années.

Après la pause, le Quatuor no 4 de Bartók nous a plongé dans un tout autre registre d’émotions. Par son caractère primal, qui rappelle Le Sacre du printemps de Stravinsky, la musique semble totalement répondre à l’instinct sauvage. Les attaques répétées et la tension exercée sur les cordes ont fait céder quelques crins d’archet, ce qui en soi n’était pas anormal compte tenu du degré d’intensité auquel nous assistions. Une corde de violoncelle a même été cassée dans le processus! Tous solidaires, les musiciens ont quitté la scène et sont revenus pour reprendre du début le premier mouvement qu’ils venaient à peine d’entamer. La solidité de l’interprétation s’est faite particulièrement bien ressentir dans cette œuvre complexe. Elle a témoigné, une fois de plus, de l’impressionnante régularité du Molinari au sommet des ensembles spécialisées dans le répertoire des XXe et XXIe siècles.

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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