Critique | Festival d’opéra de Québec: Du français de Gounod au joual de Tremblay

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Pour sa production de grand répertoire lyrique en langue française, le Festival d’opéra de Québec, sous la direction de Jean-François Lapointe, avait choisi Roméo et Juliette de Charles Gounod. Un opéra intemporel quant au thème de l’amour impossible et de la rivalité entre deux familles.

La première avait lieu le 28 juillet, à 19h30, au Grand Théâtre de Québec et était suivi, le lendemain à 14h, par la création de l’opéra Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Christian Thomas qui, en comparaison, était certainement plus en phase avec la société québécoise d’aujourd’hui. Composée d’après la pièce éponyme de Michel Tremblay, cette nouvelle œuvre usait tout naturellement du joual et mettait en scène 11 personnages, dont 5 couples, avec leurs joies et leurs souffrances, souvent très crues.

Roméo et Juliette

 Au fil des ans, l’Opéra de Québec nous a habitué à des décors et des mises en scène de haut calibre. Ce fut encore le cas cette fois-ci. Le grand mur du fond, qui rappelait l’intérieur d’un appartement luxueux, et la lucarne placée sur le haut du mur latéral offraient un cadre très propice à la fameuse scène du balcon, d’après la pièce originale de Shakespeare. À la toute fin de cette scène du deuxième acte, le mur du fond s’est progressivement levé du sol pour exposer, en un tableau superbe, les premières lueurs du jour. On peut seulement regretter les trop faibles éclairages sur le personnage de Roméo, notamment lors de son air célèbre « Ah! Lève-toi, soleil! ». Le contexte nocturne le justifiait peut-être, mais il est bon de rappeler que nous aimons l’art lyrique d’abord pour la beauté du chant et pour les sensations qu’il procure. Ainsi, un interprète, quel qu’il soit, doit pouvoir donner pleinement au public l’image d’un héros romantique, et non celle d’un héros taciturne.

Autant vocalement que physiquement, Thomas Bettinger est monté en puissance au fur et à mesure de la soirée. Dès sa première apparition, toutefois, il est apparu en retrait par rapport à son collègue, le baryton Christophe Gay. Par son aisance scénique, son charisme, ce dernier a montré qu’il avait l’étoffe de jouer les premiers rôles, au point de faire de l’ombre à Roméo. Avec le ténor Loïc Félix, il a formé un excellent duo d’adversaires Mercutio-Tybalt, symbole de la grande rivalité opposant les Montaigus aux Capulets. Hélène Carpentier, dans le rôle de Juliette, a campé un personnage classique de première dame avec certes la grâce et l’élégance, mais des mouvements de scène trop bien scriptés qui, par conséquent, manquaient de naturel. Parmi les autres membres de la distribution, mentionnons la belle prestation Patrick Bolleire, sous les traits du bienveillant et réconfortant Frère Laurent. Du côté de l’orchestre, Laurent Campellone a dirigé les musiciens de l’OSQ d’une main ferme et fait honneur à la partition pleine de verve du compositeur.

Messe solennelle pour une pleine lune d’été

La création de cet opéra était d’abord l’occasion de redécouvrir une pièce de Michel Tremblay rarement montée au théâtre. Ce déficit de notoriété serait-il dû au propos religieux, au découpage de l’œuvre en plusieurs épisodes de messe, à l’omniprésence de la lune telle une divinité parmi les étoiles? En tous les cas, l’émotion a été bien rendue par une riche distribution de chanteuses et de chanteurs québécois. Mentionnons la soprano Lyne Fortin, dans le rôle de La Veuve, qui a livré une interprétation époustouflante au moment de raconter ses amours passionnés, son « bonheur perdu » (Lacrymosa). Mentionnons également le baryton Dominique Côté, sous les traits de Gaston, touchant de sincérité quand il avoue son manque affectif à son conjoint Yvon (Confutatis maledictis). Du côté de la relève, on retient le timbre brillant et l’ampleur vocale de Jessica Latouche, en Louise, qui se serait mérité un air à elle seule.

Musicalement, la partition de Christian Thomas a excellé dans les passages orchestraux de grande densité, y compris l’accompagnement à l’orgue lorsque Gaston et Yvon entament un tango de réconciliation. En ce qui concerne l’écriture vocale, le compositeur a semblé suivre davantage le rythme de la langue parlé à partir du récitatif entre Louise et Jeannine (Lux aeterna) et continuer ainsi dans le même style jusqu’à la fin de l’œuvre. Celle-ci a gagné en fluidité, comparativement à la longue exposition du début qui, de surcroît, nous a fait franchir le point de saturation sonore à plusieurs reprises, notamment en raison du chœur à 11 voix.

Un dernier mot sur la mise en scène d’Alain Zouvi, en travail conjoint avec Jean Bard à la scénographie et Maud Saint-Germain à la chorégraphie, certes limités par l’espace de l’avant-scène du Palais Montcalm, mais servant merveilleusement bien le propos par des déplacements intelligemment faits et une poésie des mouvements où chaque chanteur avait sa part à jouer.                  

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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