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Kent Nagano entretient une relation de cœur avec le Québec. Pour La Scena musicale, il nous parle en français de ce qui constitue, à ses yeux, un « point de référence culturel ». Venant d’un chef d’orchestre né en Californie et passé par tous les pays, les salles de concert et les maisons d’opéras les plus emblématiques du monde, ces mots valent leur pesant d’or.
Son départ de l’Orchestre symphonique de Montréal ne l’empêche pas de revenir à l’occasion dans la métropole. Du 10 au 12 avril, maestro Nagano dirigera l’OSM dans deux œuvres majeures du répertoire pour orchestre : Les noces de Stravinski et la Symphonie no 3 de Beethoven. « Depuis que j’ai enregistré L’Héroïque avec l’OSM (en 2014, sur Analekta), je l’ai dirigée au moins 25 fois. J’ai tourné avec des orchestres autrichiens, français, allemands, italiens… je dois dire que j’adore la façon dont l’OSM joue Beethoven. Les musiciens le font d’une manière tellement vivante et pertinente. Ils amènent une vitalité unique. »
Pour lui, cette aptitude fine s’explique en partie par la culture et l’histoire du territoire. « Le Québec est une des rares régions en Amérique du Nord qui n’a jamais coupé le lien avec l’Europe. C’est une région où on est polyglotte. À Montréal, j’ai parlé italien, allemand, français ou québécois et anglais, presque tous les jours. Il est important de rappeler que pendant la grande expansion de l’empire napoléonien, la musique de Beethoven était très présente en Europe. Cela veut aussi dire que sa musique – et le fait qu’on la joue ici – contribue à cette relation si spéciale avec le Québec. »
Beethoven avait souhaité dédier sa Symphonie no 3 à celui qui était encore perçu, à l’époque, comme un héros de la Révolution française, libérateur du peuple face à la monarchie. Or, en apprenant la nouvelle de l’invasion de son pays, l’Allemagne, par Napoléon et ses troupes, le compositeur a fameusement rayé le nom de l’envahisseur à l’en-tête du manuscrit. L’œuvre demeure incontestablement teintée d’histoire politique et d’héroïsme sans relâche face à l’adversité. Faut-il y voir une résonance avec ce qui se passe aujourd’hui à l’est de l’Europe et l’invasion d’un autre pays par un dictateur ? Réponse de Kent Nagano : « On ne peut séparer complètement l’œuvre de notre environnement actuel, un environnement d’instabilité terrible dans le monde et que beaucoup peuvent au moins ressentir. C’est certain que ce sera présent, de manière abstraite, mais bien là, oui. »
La dernière présence de Kent Nagano à la Maison symphonique remonte à quelques mois seulement. En décembre 2023, il retrouvait Fred Pellerin à la Maison symphonique pour leur sixième conte de Noël conjoint. « Il est certes Québécois, mais son raffinement et sa créativité font de lui un grand artiste avec qui il est toujours stimulant et inspirant de travailler. Dans cette tradition québécoise, la façon qu’a Fred Pellerin de raconter est enrichissante pour moi parce qu’il est capable de toucher à des thèmes profondément humains avec ironie pour que ça devienne des thèmes universels, qu’on puisse comprendre ces histoires peu importe d’où on vient. Le fait qu’il puisse faire de la Maison symphonique un lieu tellement intime, comme un salon dans une maison privée, procure une atmosphère très spéciale. »
Maestro Nagano parle d’expérience. Ses engagements en Allemagne et notamment à Hambourg en tant que directeur musical de l’Opéra d’État et chef principal de l’Orchestre d’État de Hambourg l’ont mené régulièrement à l’Elbphilharmonie. Il était là, en 2017, lors de l’inauguration de cette salle désormais célèbre pour son architecture et son acoustique incomparables. Auparavant, on se rappelle qu’il avait défendu ardemment le projet d’une nouvelle salle à Montréal. Voici ce qu’il en dit aujourd’hui : « On ne sait jamais si une salle passera le test de la théorie à la pratique en termes d’acoustique. Il y a toujours un peu de mystère, mais je crois que les Québécois peuvent en être très fiers. La Maison symphonique est maintenant un lieu établi à l’international. Pour moi, c’est un privilège d’être là quand la communauté décide de faire un énorme pas visionnaire pour la culture. Il faut se rappeler qu’une salle de concert n’est pas seulement un lieu où l’on entend de la musique. Historiquement, elle était un point de rassemblement, où toute la société se retrouvait pour se divertir, socialiser, se rencontrer, partager une expérience, partager aussi ses réactions sur ce que l’on venait d’écouter. Dans ces moments-là, une salle de concert sert à mettre en lumière ou à confirmer certains systèmes de valeur. Je me rappelle avoir été tellement ému quand quelqu’un dans la rue, venu assister au concert, m’a dit : “C’est formidable de pouvoir entendre mon orchestre.” Ça veut dire que l’OSM a été une source d’identité, une sorte de miroir dans lequel on se voit. C’est la véritable fonction d’une salle de concert : représenter une fenêtre par laquelle on voit la communauté, mais aussi par laquelle la communauté peut voir le reste du monde. C’est par ce dialogue que l’expérience de concert nous fera toujours grandir et c’est aussi pourquoi on invite les plus grands orchestres à la Maison symphonique. »
Kent Nagano continuera à diriger les représentations concertantes – et historiquement informées – de l’Anneau de Wagner au cours des prochaines années. Ce projet, intitulé « The Wagner Cycles », est un projet du festival de musique de Dresde et de son directeur Jan Vogler, qui en assure également la co-direction artistique avec Kent Nagano. Les représentations de La Valkyrie avec le Dresdner Festspielorchester et le Concerto Köln auront lieu le 1er mai à l’Elbphilharmonie de Hambourg, le 9 mai au Festival de musique de Dresde et le 21 août au Festival de Lucerne.
Orchestre symphonique de Montréal
www.osm.ca
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