Sortilegio : L’opéra vampire du trio Raum-Delorme-Scalia

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Une vampire cachée depuis plus de 200 ans, des habitants d’une ville lointaine à la recherche d’un trésor enfoui dans une crypte, un immortel parmi les êtres humains… bienvenue dans le monde enchanté de Vivianne Delorme! La jeune productrice et metteure en scène, également chanteuse et fine connaisseuse de l’art lyrique, arrive avec son tout premier opéra, intitulé Sortilegio.

Concept d’origine

Plus d’une centaine d’heures de recherches et de réflexions ont été nécessaires. Inspirée par ses lectures de romans de fantaisie, l’idée lui est venue pendant le confinement. « Je pensais d’abord faire un récital d’opéra pour Halloween en puisant dans des extraits d’opéras connus, avec les sorcières de Macbeth, la Reine de la Nuit, etc. Ensuite, je me suis dit qu’il serait intéressant d’ajouter une petite histoire qui pourrait relier tous ces extraits entre eux: d’abord une animation au cours de la soirée, mais cela a rapidement ouvert la porte à des récits plus développés. J’ai ajouté des couches et des couches à ce concept et je me suis rendu compte que je voulais écrire un opéra! À partir de là, j’ai contacté la compositrice Elizabeth Raum afin de collaborer sur une oeuvre à mi-chemin entre la revue musicale et un opéra, constituée de pièces existantes souvent oubliées du grand répertoire lyrique, dans laquelle on incorpore de nouveaux morceaux et de nouveaux récits », confie Vivianne Delorme. Ainsi se côtoient des musiques de la période baroque et du XIXe siècle, remises au goût du jour, avec plusieurs numéros inédits de Raum réunis en une seule œuvre.

Trouver le bon ton

Pour cette comédie dramatique, qui alterne entre le sérieux et le comique selon les besoins de l’action, la librettiste a beaucoup étudié les ressorts dramatiques des chefs-d’œuvre du répertoire lyrique que sont Le barbier de Séville de Rossini, Les noces de Figaro et Don Giovanni de Mozart, ses inspirations principales. « C’était important pour moi d’avoir des personnages qui ont chacun leur caractère, leur vocabulaire propre. J’ai voulu adopter une approche très immersive par rapport à l’œuvre en créant un monde imaginaire peuplé de ces personnages. »

Vivianne Delorme durant un atelier de mise en scène avec Carlo Saletti à la Verona Accademia per l’Opera à Vérone, italie.

Le coproducteur de Sortilegio, Adrian Rodriguez, abonde dans le même sens : « Quand on lit un texte écrit pour la scène, ce sont surtout le drame et les mises en situation qui importent. Il faut savoir bien les mener, savoir jusqu’où on veut aller avec l’histoire. Tout ça doit se faire intelligemment. », Delorme poursuit: « Au final, je me mets toujours du côté du public. Mon but, c’était de faire une œuvre unifiée où le drame, les paroles et la musique se complètent. J’ai d’ailleurs très hâte de savoir quelles scènes les spectateurs aimeront, quel personnage ils trouveront le plus drôle, quels moments les auront marqués. »

L’heure du choix

Giancarlo Scalia, compositeur des récitatifs; Vivianne Delorme, metteure en scène et librettiste; Sonia Ben-Santamaria, directrice musicale; and Adrian Rodriguez (coproducteur and baryténor))

Les premiers éléments du livret et le scénario étant déjà établis, il fallait désormais trouver quelqu’un qui pourrait faire le pont entre les extraits très romantiques que Vivianne Delorme avait envie de retenir pour l’opéra et, en même temps, écrire de la musique nouvelle. La compositrice canadienne Elizabeth Raum correspondait exactement au profil recherché. « Son langage musical est très varié, allant du romantique au contemporain.. Les numéros s’imbriquent très fluidement. » Adrian Rodriguez estime aussi que les influences d’Elizabeth Raum sont en partie à chercher du côté des compositeurs classiques. « Par moments, on croirait entendre du Bach, notamment grâce à une basse en mouvement continu et une série de modulations qui nous font rapidement changer de couleurs musicales. Il y a du contrepoint, mais, par-dessus, une ligne très indépendante, contemporaine. C’est parfait ainsi. Sans quoi, nous aurions une musique trop moderne par rapport au matériel de base et ça ferait un mélange trop hétérogène. »

Dans Northern Lights, parmi les nombreuses œuvres de cette compositrice de 78 ans, on retrouve cet art d’une musique continue à la harpe, avec un riche entremêlement de lignes mélodiques, pendant que la flûte entame un thème éthéré, d’apparence très libre, dans l’aigu. Delorme ajoute: « Il y avait beaucoup de snobisme à l’égard de compositeurs contemporains inspirés par le langage tonal. Il ne leur a certainement pas été facile de percer dans le domaine, surtout quand il s’agit d’une femme. Les choses changent, heureusement, car au moment où j’ai rencontré Elizabeth Raum, il y avait un nouvel engouement pour sa musique! En plus de ses influences contemporaines, j’y ai trouvé beaucoup de fantaisie et de romantisme, à la fois dans la couleur de sa musique et sa façon d’écrire pour l’orchestre. C’est ce qui m’a plu chez elle. Je l’ai trouvée si habile à manier tout ça. »

Elizabeth Raum a pris en charge une panoplie de morceaux, allant des interludes et des duos aux scènes dramatiques ou encore des finales avec une orchestration fournie, y compris un octuor dans l’acte III. « Il faut célébrer le talent et la musique d’Elizabeth Raum, d’autant plus qu’elle a déjà composé toutes sortes de répertoires! Nous voulons déjà lui rendre hommage », déclare Adrian Rodriguez.

Elizabeth Raum, compositrice et orchestratrice

Compte tenu de la quantité de scènes dans cet opéra, à la manière de Rossini et de Mozart, Vivanne Delorme a fait appel à Giancarlo Scalia, compositeur et pianiste accompagnateur Montréalais d’héritage italien, pour l’écriture des récitatifs. « On avait besoin de répliques du tic au tac, dans un style bel canto, épuré et où l’action avance vite. Giancarlo a offert toute son expertise, en alliant ses talents de compositeur et de répétiteur. Il est aussi très proche de nous en tant qu’artiste et ami. »

Quelques exemples

Certes, la musique de répertoire représente près de la moitié de la partition, mais elle a été réorchestrée ou réarrangée pour les besoins de l’opéra. C’est notamment le cas du célèbre « air du froid » de King Arthur de Purcell, choisi expressément pour illustrer en termes stylistiques les 200 ans qui se sont écoulés depuis la mise en cercueil de la vampire : « Il y a beaucoup de sons vaporeux de violons et de gammes suraiguës qu’Elizabeth Raum a imaginés pour la scène où Machiavella se réveille. D’autres pièces sont restées telles quelles, mises au complet comme la cavatine de l’acte III de Rusalka de Dargomyzhsky, l’air de William Phinéas (interprété par Jorge Eleazar Mora) ou alors avec des coupures comme le trio Grand Dieu ! Que viens-je donc d’entendre ? de Boieldieu. À l’opposé, nous avons un réarrangement complet de Der Leiermann de Schubert, plutôt comme une variation sur le thème. À cela s’ajoutent des chorales de Brahms, qui ne sont pas extraits d’un opéra… J’ai aussi demandé à Elizabeth Raum qu’un interlude soit inspiré de l’ouverture du Roi Arthus de Chausson. J’aimais le thème original, mais moins le développement qui suit. Résultat : la compositrice a fait quelque chose de complètement nouveau, en intégrant seulement ce thème », précise Vivianne Delorme.

Giancarlo Scalia, compositeur des récitatifs

Le rôle de la redoutable Machiavella sera incarné par la Franco-Néerlandaise Barbara Kits, jeune soprano spinto comme il en existe rarement. « J’avais en tête une voix verdienne, soprano dramatique avec agilité, une voix capable de chanter Pleurez mes yeux du Cid de Massenet. J’ai trouvé une interprétation publiée par elle sur YouTube, j’ai pu la contacter grâce à des amis communs et c’est ainsi que ça s’est fait. »

Pour exprimer toute la soif de puissance chez ce personnage d’outre-tombe, Mme Delorme cherchait un air de méchant au rire démoniaque. Après avoir épuisé le répertoire de soprano, ses recherches l’ont finalement orientée vers un air chanté à l’origine par une voix de basse, La canzone del fischio, l’air de Méphistophélès dans l’opéra éponyme de Boito.

À l’entendre, on croirait que la productrice a d’elle-même élaboré une concoction complexe de différents ingrédients, telle une apprentie sorcière, pour créer un opéra, fait remarquer fort justement Adrian Rodriguez.  « Il y a beaucoup de musiques qui valent la peine d’être entendues! C’est en partie pour ça que j’ai voulu partager des œuvres peu connues que je ne connaissais pas moi-même au début de l’aventure. Je n’avais jamais écouté Le Démon de Rubinstein, Le Manoir hanté du Polonais Stanisław Moniuszko, par exemple. J’aimerais en faire découvrir beaucoup d’autres. » ajoute Delorme.

La grande ambition

La représentation aura lieu le 28 octobre, soit la fin de semaine précédant l’Halloween, à la salle Pierre-Mercure, au centre-ville. Les membres du public sont cordialement invités à revêtir leurs plus beaux costumes pour l’occasion. Sur scène, les 12 solistes seront accompagnés par un chœur d’une vingtaine de voix et de 2 pianistes, en fosse, sous la direction de Sonia Ben Santamaria, mais Vivianne Delorme pense déjà à l’après. Des partitions orchestrales sont en train d’être réalisées par Elizabeth Raum en vue d’une publication. « C’est un spectacle d’avant-première en attendant, on l’espère, une première officielle avec grand orchestre et chœur. Monter une nouvelle production a un coût très élevé pour les compagnies lyriques et le fait d’avoir déjà une œuvre travaillée, développée, serait susceptible de les intéresser. Pouvoir enfin entendre l’œuvre et les échos du public aideront beaucoup en ce sens. Adrian Rodriguez renchérit : « Le fait que la production ait été testée, éprouvée lors de deux ateliers, avec une distribution qui connaît déjà la partition, est un pas dans la bonne direction. »

En 2011, le Metropolitan Opera de New York – rien de moins – avait créé une « fantaisie baroque » appelée The Enchanted Island, puisant dans une variété d’airs du répertoire autour d’un livret nouveau. Cette œuvre rejoint les mêmes aspirations et signe au passage une lettre d’amour enflammée à l’art total. « Sortilegio est né d’un esprit affamé de création. C’était durant la pandémie. J’étais toute seule chez moi et, ayant peu de contact humain, je m’interrogeais sur ce que j’avais envie de faire de ma vie. Je me suis mise à imaginer l’opéra de mes rêves. J’ai voulu tout mettre : un chœur, un orchestre, deux combats, l’un aux poings, l’autre à l’épée, des effets de magie, des danses, quatre actes, une farandole de musiques différentes. C’est un opéra maximaliste, avec tous les arts réunis. Il y a aussi des lieux différents : un château, un laboratoire, en plein milieu d’une forêt, dans un grand bistro, bref des grands tableaux comme dans Pelléas et Mélisande de Debussy. Tout est né de ce désir de création, de magie, de fantaisie, de collaboration. C’est aussi une réflexion sur ce qu’il y a de spécial dans l’art vivant comparé aux autres formes d’art, ce qui en fait la force et y aller à fond. L’art vivant permet de faire vivre une expérience à chaque spectateur, de créer un moment de vie qu’il ou elle gardera dans sa collection de souvenirs. »


À propos de Vivianne Delorme

Vivianne Delorme

Vivianne Delorme, metteure en scène canadienne émergente, cumule plus de 10 ans d’expérience en opéra, théâtre et comédie musicale. Elle a été invitée à étudier des productions à la Canadian Opera Company de Toronto (Hansel et Gretel, 2020) et au Metropolitan Opera de New York (La fille du Régiment, 2019). Au Mediterranean Opera Studio Festival, elle a dirigé Il Barbiere di Siviglia, L’elisir d’amore et Don Giovanni, collaborant avec des chefs renommés, dont Leonardo Catalanotto et Kamal Khan, la personne qui a identifié son talent et lui a recommandé d’intégrer la Verona Accademia per l’Opera. Sous la tutelle du metteur en scène de renom Lorenzo Mariani, elle y obtient en une maîtrise en mise en scène d’opéra. Dévouée, Delorme se consacre corps et âme au développement de productions expressives qui mettent en valeur l’essence profonde des histoires. Admirant sa fougue et son sens de l’écoute, Jack Livigni, directeur du MOSF et professeur au Curtis Institute of Music, la décrit comme ayant « une main de fer dans un gant de velours ».

Sortilegio
28 octobre
À la salle Pierre-Mercure

Vivianne Delorme, concept, livret et mise en scène; Elizabeth Raum et Giancarlo Scalia, composition; Sonia Ben-Santamaria, direction musicale , Fernando Maya Meneses, scénographie; Amber Hood, éclairages.
centrepierrepeladeau.tuxedobillet.com/main/sortilegio-lopera.

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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