Dernier Chorus

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Vingt-cinq ans, c’est peu dire. Pour un être humain, cela représente plus du quart d’une espérance de vie moyenne. Pour moi, cela totalise la durée de ma collaboration à La Scena Musicale.

Tout a commencé de manière fortuite en 1999 au moment où une connaissance m’a mis en contact avec le rédacteur en chef par l’entremise de son associé. Ma première commande d’article en était une de critiques de disques dans un domaine alors inédit dans les pages du magazine et dont je n’étais pourtant pas le plus fin connaisseur : la musique contemporaine. Pourtant, ce n’était qu’un coup dans l’eau, du moins pour le reste de l’année.

Mon entrée en service n’eut lieu qu’au mois d’avril suivant pour un article de plus grande envergure, soit un reportage en deux volets sur la désormais légendaire Symphonie du millénaire présentée sur le parvis de l’oratoire Saint-Joseph par une soirée clémente de fin de printemps (2 juin, pour être exact). Dans la foulée de mes premières collaborations concentrées dans le créneau des musiques dites savantes, je me suis retrouvé dans celui pour lequel j’avais une meilleure compétence, pour ne pas dire le premier intérêt : le jazz et les musiques créatives de toutes sortes.

Seul d’abord, j’ai recruté en cours de route d’autres collaborateurs, certains éphémères, d’autres plus durables. Peu à peu, la section jazz prenait son envol, le nombre de pages augmentant pour alors atteindre son faîte entre 2007 à 2012. Durant cette période faste, le jazz se trouvait même à la une au mois de mai, misant sa couverture sur les festivals de jazz d’été au pays. Appuyé d’une équipe de précieux collaborateurs locaux et quelques-uns d’ailleurs, j’assurais mon titre de rédacteur de section, coordonnant ainsi les profils d’artistes et d’événements ainsi que les indispensables critiques de disques.

Plusieurs grosses pointures de la note bleue ont arboré les couvertures du magazine, le plus grand de tous étant Sonny Rollins, sans oublier des vedettes de la trempe de Branford Marsalis, la compositrice Maria Schneider, le légendaire Randy Weston, l’éminent bassiste Dave Holland, son tout aussi redoutable confrère européen Renaud Garcia-Fons et deux des nôtres, les saxos André Leroux et Richard Underhill.

Toute belle chose ayant une fin, la bulle éclate en 2013, au moment où le marché du disque compact s’effondre devant l’assaut des plateformes numériques, remettant en question les productions discographiques et les campagnes publicitaires les entourant. Au Canada, n’oublions pas les sévères coupes de financement public du précédent gouvernement conservateur qui ont privé les milieux artistiques des moyens financiers pour diffuser leurs activités, cette publication subissant le contrecoup par des chutes de revenus publicitaires.

Coincée dans cette double conjoncture, la section jazz devait retourner en quelque sorte à sa case de départ, occupant depuis sa modeste page et demie par numéro pour gagner parfois une autre demi-page. Même si le pire était à craindre à l’orée de la pandémie, le magazine a bien tiré son épingle du jeu, le jazz étalant désormais sa couverture sur la Ville Reine depuis la publication de deux éditions papier distinctes pour chaque numéro.

Si je tire ma révérence avec cette sixième livraison du 29e volume, la note bleue ne disparaîtra pas pour autant de ces pages. Amateurs, rassurez-vous : l’avenir du jazz sera entre bonnes mains en la personne de Félix-Antoine Hamel (voir ses recommendations de concerts des festivals dans ce numéro). De 2005 à 2012, il a considérablement étoffé la section de sa belle plume, étalant ses connaissances vastes du sujet. De plus, il jouit d’une expérience pratique de cette musique comme saxophoniste. Sa longue expérience comme disquaire lui a permis d’acquérir une connaissance encyclopédique de cette musique sous toutes ses coutures, d’Armstrong à Zorn, sinon Beiderbecke à Brötzmann.

Si l’année courante marque donc mon quart de siècle à l’emploi de LSM, il se trouve qu’elle coïncide aussi avec mes 40 ans de carrière professionnelle dans le domaine. Que d’expériences vécues d’avoir vu en concert bien des grands, nombre d’entre eux disparus depuis, même à les rencontrer en personne ou au bout du fil pour recueillir leurs propos ! S’il est facile de verser dans la nostalgie, il importe toujours de tâter le pouls du temps, chose que je compterai faire en tendant bien l’oreille autour de moi, libéré toutefois de toutes les échéances de production, bien serrées par moments.

Dans un métier peuplé de scribes « hobbyistes », je fais exception à la règle, m’étant voué à temps plein à cette musique, gagnant ma vie non sans précarité. On n’y fait pas fortune, d’autant plus comme pigiste, mais ce boulot n’est pas sans ses atouts : seul le flot constant de nouveaux arrivages de disques promotionnels permet de bâtir une collection respectable à peu de frais, voire le privilège d’obtenir des accréditations médias aux concerts et festivals, sans oublier les occasions de s’entretenir avec les artistes, des plus grands aux plus modestes.

Que dire aussi des moments inoubliables gravés dans ma mémoire après avoir assisté à des événements nationaux (de Saint-Jean, Terre-Neuve, à Vancouver), et internationaux (New York, Chicago, Paris, Berlin, Amsterdam, Copenhague, Vienne…). Pour tout dire, le journalisme musical a bel et bien ses « avantages sociaux » !

C’est ainsi que mon aventure en musique s’achève, du moins dans le milieu local. Si la récente pandémie a fait ses ravages au sein de l’humanité, le virus de la musique ne peut que nous faire du bien. Un observateur, dont le nom m’échappe, avait déclaré un jour : « Placez un diplomate (ou un politicien) quelque part, il se fait des ennemis. Mettez un musicien à sa place, il se fait des amis. » Bénie soit la musique, car sans elle la vie serait une erreur. (Mes hommages à Nietzsche pour cette perle de sagesse.) Si la musique nous ravit dans son tourbillon à quelque moment de nos vies, elle suit inlassablement son cours sans fin avec d’autres.

 

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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