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Musique du monde avant même la création du terme, le jazz phagocyte à peu près tous les genres et toutes les traditions, des plus populaires aux plus savantes. Un examen de son histoire suffit à démontrer qu’il en a toujours été ainsi, aussi loin que Jelly Roll Morton qui parlait de la touche latine dans sa musique.
Une autre confluence à noter est celle avec les musiques juives, quoique les liens entre elles et la note bleue n’eussent pas toujours été faciles à discerner. Pourtant, des musiciens de cette communauté ethnique ont eu un impact considérable sur le jazz, et ce, sans l’avoir joué. Dans l’entre-deux-guerres, des tubes provenant des comédies musicales de Broadway peuplaient le palmarès américain. Les jazzmen puisaient dans ce répertoire pour se constituer un corpus musical, celui des standards. Chose intéressante, les compositeurs de ces musiques, à une exception près (Cole Porter), étaient d’origine juive. La liste est longue, les noms de George Gershwin (en tandem avec son frère et parolier Ira) et Irving Berlin sont des incontournables ici, sans oublier les Jerome Kern, Richard Rodgers, Oscar Hammerstein et Sammy Cahn. À ceux-ci s’ajoutent des exilés européens fuyant le nazisme, dont Kurt Weill, qui avait totalement embrassé le mode de vie américain et ses goûts musicaux dans sa production artistique.
Loin de les exclure, le jazz accueillait des musiciens juifs, à condition qu’ils sachent swinguer sur leur instrument. Benny Goodman et Artie Shaw, clarinettistes de premier plan de l’ère du swing, étaient tous deux issus de milieux prolétaires juifs, mais ils s’identifiaient davantage à leurs compagnons noirs, sans doute par leur appartenance commune aux classes moins fortunées, ou encore aux affinités électives entre le blues et le klezmer, l’un et l’autre privilégiant les tierces mineures aux majeures. Toutefois, ces musiciens (et nombre de leurs successeurs) ont tiré profit du système de vedettariat américain pour accéder à un plus haut statut social, chose niée pendant longtemps aux Noirs.
En dépit de cette parenté stylistique, les jazzmen (et women) d’ethnicité juive ont préféré taire leur appartenance, certains s’affranchissant de cette identité pour mieux s’assimiler dans le melting pot américain, d’autres y adhérant toujours, mais dans la plus grande discrétion. Tel avait été le cas dans le passé, du moins jusqu’à une trentaine d’années.
Nouvelles vagues
Chez les Afro-Américains, les années 1960 sont une période charnière, car un mouvement de fierté ethnique et raciale s’instaure, la charge sonnée par un retour aux sources ancestrales africaines. Cette émancipation se poursuivra tout au long de la prochaine décennie, les coiffures afros et les dashikis multicolores étant des signes de cette nouvelle affirmation.
Dans cette même logique, la communauté musicale juive active dans le jazz sort de son placard, pour ainsi dire, trouvant son porte-parole en la personne de John Zorn. Se faisant connaître dans les milieux de l’avant-garde new-yorkaise des années 1980, cet expérimentateur boulimique se fait le promoteur de la Radical Jewish Culture, son quartette Masada et toutes ses variantes (Masada Strings, Electric Masada) ouvrant la voie à une foule d’autres groupes. Dans ses concerts, où se conjuguent bruitismes éclectiques et références aux musiques hassidiques et sépharades, il lui arrive de porter quelques parures typiques du culte religieux. Pour diffuser la cause, il lance sa propre étiquette de disques (Tzadik). Toute cette activité contribue autant à promouvoir cette identité culturelle dans le jazz, sans oublier la réputation de son instigateur comme l’une des personnalités les plus marquantes dans l’arène du jazz des trente dernières années.
Dans le prolongement de cette vague, une seconde déferle depuis, soit l’arrivée sur scène d’un cortège de musiciens israéliens. Parmi eux, les deux Cohen – la clarinettiste et saxo Anat, son frère trompettiste Avishai –, le batteur Ari Hoenig, le guitariste Gilad Hekselman et, plus récemment, le pianiste Shai Maestro. Installé chez nous à Montréal ces dernières années, Tevet Sela est un saxo alto et soprano qui décline les musiques du bassin méditerranéen à celles du jazz américain. Compatriote de ce dernier, le joueur d’anches Gilad Atzmon articule ces deux mondes dans la musique de son ensemble Orient House, mais, banni de son pays en raison de ses positions politiques, il vit en exil à Londres. Plusieurs noms pourraient se greffer ici. À défaut d’espace, cet article ne peut offrir qu’un bref aperçu d’un sujet méritant, il va sans dire, un examen plus circonstancié.
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